🇨🇩🇺🇸🇷🇼Un tournant dans les relations RDC-Rwanda : Analyse du protocole d'entente signé à Washington en avril 2025

Le 25 avril 2025, un protocole d'entente historique a été signé à Washington entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, sous la médiation directe des États-Unis. Cette initiative vise à mettre fin à une décennie de tensions armées, d’accusations mutuelles de soutien aux groupes rebelles et de crises humanitaires à répétition dans la région des Grands Lacs. Si l’accord marque un tournant diplomatique majeur, sa réussite reste suspendue à des variables politiques, sécuritaires et économiques complexes.

1. Contexte d’un conflit enraciné

Depuis la résurgence du M23 en 2021, la situation dans l’Est de la RDC s’est dégradée. Kinshasa accuse Kigali de soutenir cette rébellion, ce que le Rwanda a toujours nié, tout en exprimant des inquiétudes vis-à-vis de la présence des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) sur le territoire congolais. Le conflit a fait des milliers de morts et plus de 7 millions de déplacés, aggravant une crise humanitaire déjà critique.

Les tentatives précédentes de médiation – notamment par la CIRGL, l’EAC, ou encore via les initiatives de Luanda et de Nairobi – ont échoué à faire respecter les cessez-le-feu. Le présent protocole, facilité par Washington et appuyé par le Qatar, tente une nouvelle approche à la fois politique, sécuritaire et économique.

2. Les points clés du protocole d’entente

Le document signé à Washington s’articule autour de plusieurs engagements fondamentaux :

Cessation des hostilités et retrait des groupes armés : Les deux parties s'engagent à cesser immédiatement tout soutien aux groupes armés, notamment le M23 et les FDLR.

Création d’un mécanisme conjoint de sécurité : Un organe bilatéral, avec appui international, sera chargé de surveiller les mouvements des groupes armés, sécuriser les zones conflictuelles et garantir le respect des engagements.

Coopération économique stratégique : L’accord ouvre un corridor d’investissement, notamment américain, dans les ressources critiques de la RDC (cobalt, cuivre, lithium), sous couvert d’un encadrement transparent.

Feuille de route vers un accord de paix global d’ici au 2 mai 2025.

3. Analyse des enjeux géopolitiques

Les intérêts américains : L’implication directe de Washington – symbolisée par la médiation du secrétaire d’État Marco Rubio – n’est pas anodine. Elle s’inscrit dans une stratégie globale visant à contrer la domination chinoise dans le secteur des minerais stratégiques. En facilitant un apaisement régional, les États-Unis cherchent à sécuriser des corridors d’approvisionnement alternatifs pour les chaînes de valeur technologiques occidentales.

La position du Rwanda : Kigali, longtemps critiqué pour son rôle ambigu dans l’Est congolais, semble chercher à sortir de l’isolement diplomatique et à réhabiliter son image. Cet accord lui permettrait aussi d’élargir ses partenariats économiques tout en préservant ses intérêts sécuritaires vis-à-vis des FDLR.

La RDC en quête de souveraineté : Pour Kinshasa, cet accord est un pari risqué mais calculé. En acceptant une coordination sécuritaire avec Kigali, le pouvoir congolais prend le risque d'une contestation politique interne, mais gagne un levier important pour restaurer l’autorité de l’État dans l'Est et attirer des investissements vitaux pour son économie

4. Risques et incertitudes

Malgré les signaux positifs, plusieurs obstacles menacent l’accord :

La méfiance mutuelle persistante entre les deux États, nourrie par des décennies de trahisons diplomatiques.

La multiplicité des acteurs armés, dont certains ne répondent ni à Kigali ni à Kinshasa.

L’absence d’un volet de justice transitionnelle, pourtant crucial pour apaiser les ressentiments et les traumatismes collectifs

Le silence de la société civile et des groupes locaux, souvent exclus des processus de paix mais directement impactés.

5. Conclusion : entre espoir et prudence

Ce protocole d’entente constitue l’initiative de paix la plus ambitieuse entre la RDC et le Rwanda depuis l’Accord de Pretoria en 2002. Il cristallise un espoir réel de désescalade dans une région marquée par les conflits cycliques. Mais au-delà des signatures, seule une volonté politique sincère, conjuguée à un engagement fort de la communauté internationale, permettra de transformer cette feuille de route diplomatique en un véritable processus de paix durable.

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Benjamin Kipoko Mbel